« mon moteur Bosch il est plus high-tech »

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« Quel intérêt à choisir un moteur  bas de gamme, quand les grands motoristes proposent le nec plus ultra, à seulement 2000-4000 euros ? »

Même dans les petites villes, comme à Laval, on voit clairement la hausse du recours au vélo électrique. Il fait des émules, et tant mieux si cela permet de se passer de la voiture. (ce qui n’est pas toujours vrai ; c’est pour certains cyclistes juste une aubaine que de se motoriser. Mais aussi l’occasion d’aller plus loin qu’on ne l’aurait fait à la seule force des mollets. Le report modal, comme on dit dans le jargon de l’économie des transport, est difficile à mesurer, mais forcément  approximatif à la seule échelle individuelle).

Ce qu’on constate aussi, sans trop de surprise, mais avec un certain regret, c’est le recours croissant à la motorisation par des des grandes entreprises de l’électronique. Je pense à Bosch en particulier, il y en a d’autres. Bosch s’y connaît en « moteur brushless », ou moteur sans charbon ou sans balais, comme on les appelle aussi. Il n’y a pas de doute, vu toute la gamme de moteur électrique qu’ils produisent, pour votre meuleuse préférée ou encore la perceuse de votre voisine qui travaille dans le BTP, ou le métro de votre cousin habitant une grande ville. Les grandes boites de moteur électrique s’y connaissent en moteur électrique, assurément ; là n’est pas la question. De même que Mercedes et Peugeot s’y connaissent en voiture.  S’y connaissent tellement bien qu’ils ne considèrent pas nécessaires que d’autres s’y connaissent et puissent s’arranger. D’ailleurs vous avez déjà pesté ou entendu votre garagiste pester contre l’invasion de l’électronique sous le capot des nouvelles voitures.

(Si vous n’avez pas de goût ou de temps pour une mini-nouvelle relatant une effroyable dystopie, vous pouvez directement  passer à la 2nde partie de cet article)

Il était une fois…

Donc maintenant vous avez un signal du panneau de bord pour vous rappeler de faire votre vidange. Bien pratique ce petit rappel. Vous avez aussi ce petit voyant lumineux qui vous rappelle constamment une défaillance mineure fantôme, que votre garagiste a corrigé sans pouvoir le signaler au système électronique embarqué. Et aussi ce petit signal sonore strident, qui rappelle au passager avant, votre berger allemand docile, qui ne bouge pourtant pas en voiture, ou votre pot de bégonias massif, donné par votre oncle Jacques, de mettre sa ceinture. Et l’autre fois, c’était Gillou votre pote d’enfance, qui vous a proposé de changer ensemble la courroie de distribution. Vaste et téméraire entreprise, que de changer sa courroie. Il y en a bien pour 700 euros avec le garagiste, c’est sympa de la part de Gillou, que de vous le proposer,  enfin à votre initiative en échange d’un hébergement dans votre mansarde pour ce mois d’août. Mais comme pour le vieux garagiste, il n’a pas sa mallette électronique Volkswagen, La voiture propre. Donc vous cumulez :

  • le signal lumineux pour le rappel de la vidange qu’avait aussi assuré votre sœur,
  • le signal sonore  de sécurité ceinture pour le berger allemand, le pot de bégonias et maintenant les 5-enclumes-pour-le-prix-d’une-super-affaire que Gillou avait oublié de décharger le mois dernier après vous avoir emprunté la bagnole pendant l’été
  • le signal sonore de votre courroie déjà faite, mais sans l’avoir dit au système embarqué.
  • le signal sonore indiquant un problème de vitre électrique pourtant résolu
  • le signal lumineux et sonore,  tous les 50 km, pour une « anomalie » que votre garagiste n’a pas su identifier

D’ailleurs c’est assez drôle, quand les trois signaux sonores se lancent de concert, ça vous rappelle un peu « jingle bells », les quatre premières notes quoi, avant de vous casser gentiment les oreilles.

C’était amusant le temps des fêtes de fin d’année, l’intérieur à thème « sapin de noël ». Mais voilà, on arrive au mois de mars. Même le voisin dont vous riez secrètement a enlevé les guirlandes de son pavillon. Vous vous décidez donc à aller chez un garagiste Volkswagen équipé du Graal, la fameuse mallette électronique. Celle qui rassurera de ses doux signaux électriques les angoisses récurrentes d’un système embarqué capricieux. Plein de bonne foi et aussi honnête que possible dans ses prestations, le garagiste a eu la bonne idée par ailleurs de se franchiser il y a 15 ans, quand il s’est installé, c’était plus simple. Il ne pourra pas utiliser la mallette sans que son système de comptabilité intégré, fourni par son gentil franchiseur, perçoive la facturation des prestations aux tarifs définis par le contrat de franchise.  Vous voyez le montant de la facture : vidange, courroie, vitre électrique, capteur témoin de pression de pneu arrière droit (« ah c’était donc ça qui buggait? ») 1495,83 euros.

Honnête comme il peut, le garagiste vous propose un geste commercial. Un avoir sur les prochaines opérations de changement de balais d’essuie-glace, rare opération qui n’est pas surveillée par l’électronique embarquée. Il a calculé. Vous pourrez revenir pour les changer à 82 reprises, essuie glace avant comme arrière, avant qu’il ne vous en coûte le moindre centime ! Consolé par cet arrangement à l’amiable, et fier de cette filouterie à l’insu du franchiseur, vous rentrez satisfait et serein dans votre véhicule silencieux.

Le charme du high tech dans une boite noire, ou la liberté dans la simplicité et l’open source ?

On l’aura compris, on peut être expert d’une technique et pas disposé à en laisser le contrôle à d’autres. C’est ce qui est arrivé avec la voiture ces dernières décennies. Si le moteur Bosch, entre autres, a des fonctionnalités ou paramétrages que n’ont pas la plupart des contrôleurs électroniques génériques du commerce, il aussi les défauts que n’a pas un contrôleur simple ou open source. Et s’il ne les a pas encore, il faut aussi re-situer cela dans une bataille commerciale de long terme, derrière les coulisses, pour s’imposer en leader du marché. On connaît tous des réseaux sociaux, sites de streaming  ou musique en ligne qui en grands philanthropes, n’imposaient pas de publicité à leur début…

En l’occurrence, c’est au terme de mise à jour des logiciels embarqués qu’on peu craindre de perdre le contrôle des entrailles de la bécane. Un exemple : souvent, les engrenages démultiplicateurs d’un moteur pédalier sont faits en une sorte de résine. Plus silencieux, moins lourd que l’acier, il y a sans doute des fondements à ce choix, mais c’est aussi un facteur d’usure à long terme. Un moteur brushless n’a par définition pas de friction et ne s’use pas ou si peu, vous aurez donc des roulements ou ces engrenages à changer bien avant que le moteur ne rende l’âme. Personnellement, je ne sais pas précisément ce qui se cache spécifiquement sous le capot d’un moteur d’une grande marque. On peut facilement spéculer sur la présence de capteurs de températures, d’un ampèremètre et autres fonctionnalités avancées destinées à l’estimation plus fidèle de l’autonomie, mais peut être aussi d’un sceau ou capteur d’ouverture, rompant une garantie en cas d’ouverture intempestive. Donc devra-ton aller chez le fournisseur du VAE et seulement chez lui, pour changer les engrenages démultiplicateurs, parce qu’on n’aura pas le choix ?
Et si pour une quelconque raison l’affichage LCD ne fonctionne plus, ou sa dernière mise à jour ne vous convient pas, faut-il encore dépendre du même motoriste qui a choisi ses propres fiches de connectiques et protocoles de communication avec l’écran d’affichage  ?

On voit ici que ce phénomène, qui a été dénoncé depuis un certain temps dans le monde automobile, s’invite aussi insidieusement dans le vélo électrique. Les constructeurs veulent garder la mainmise ; il s’arrogent un « monopole radical » dirait en fin analyste Ivan Illich, sur une technique dont on perd le contrôle. On n’est alors plus autonome dans sa compétence. Qu’on se comprenne. On peut ne pas s’y connaître en électronique ou en moteur, même ne pas vouloir y apprendre, et perdre tout de même au change. Une amie qui s’y connaît, un mécanicien pro, s’ils perdent en autonomie, ne peuvent pas  résoudre des problèmes ou ajouter des fonctionnalités avec la souplesse qu’ils auraient autrement.

Une autre solution peut s’envisager, concernant ces verrous techniques. Plutôt que d’acheter du contrôleur générique et/ou opensource, il est certainement possible de pirater les modèles propriétaires, par exemple en flashant un nouveau code dans la mémoire du contrôleur. Quelques objections cependant : on y perd une éventuelle garantie encore valide ; il faut s’y connaître sacrément pour ne pas faire de grosses bêtises ; enfin, est-ce si intéressant dans ce cas d’avoir payé cher un dispositif à logiciel intégré, pour ensuite hacker ce dernier ?

En conclusion,

ne préjugeons pas de la supériorité des grands motoristes. Un moteur brushless requiert un certain temps pour en comprendre le fonctionnement, mais ce n’est pas inaccessible pour autant. La lutte pour l’autonomie dans nos choix de vie est un combat quotidien et aux multiples facettes. Il passe aussi par des détails très terre-à-terre ou techniques, comme le refus de dépendre de boîtes noires qui s’imposent en nous mutilant de nos capacités.

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